Rebondissement dans l’affaire du playback de Céline Dion suite à la parution d’un article dans Libé où je suis cité. (Article repris un peu partout à l’international).
Auteur/autrice : Etienne Guéreau
Rock&Folk, octobre 24
PJC dans le Rock&Folk d’octobre. Merci Bertrand Burgalat ! @TricatelVision
J’adore certains titres de Bertrand, riches et décalés comme on les aime, il devrait en toute logique être prochainement passé au crible…
Jazzlib’ (émission du 20/06)
Le Vortex de la bienveillance
Vous êtes nombreux à me demander mon avis sur l’«affaire Nalla», du nom de ce live produit par le Vortex et labellisé Arte.
Assez peu convaincu par l’importance de cette polémique, des éléments récents et une suite d’échanges écrits (notamment avec la présentatrice et le producteur de l’émission) m’ont poussé à donner brièvement mon sentiment.
En premier lieu, j’ai trouvé que tout ce pataquès fait autour de cette affaire résultait d’une mauvaise communication et d’une série de maladresses dans la gestion des réseaux sociaux. Le titre et la vignette de l’émission (Comment le jazz est passé de populaire à «snob») ne correspondent pas au contenu réel (une conférence sur l’histoire du jazz) ce qui envoie un premier signal négatif et racoleur. La seconde erreur a consisté à fermer la section des commentaires à la suite de messages correctifs, indignés, voire cassants que plusieurs internautes, notamment des spécialistes se sont empressés de laisser sur YouTube, provoquant ainsi un sentiment de frustration et l’impression de ne pouvoir apporter de droit de réponse. Cette section finalement rouverte s’est vue expurgée d’une bonne partie des commentaires négatifs, jugés inappropriés par la production, ce qui rend la lecture de l’ensemble impossible.
Mais le monde du jazz pèche lui aussi par une mauvaise communication (et probablement une mauvaise connaissance de la psychologie des réseaux sociaux). Si le fait de se sentir brimer par le musellement des commentaires est tout à fait compréhensif, la création d’une pétition appelant au retrait de l’émission était à mon sens contre-productive. Parce que, d’une part, après la réouverture de la section de commentaires, l’argument « nous censurons, car ils nous censurent » tombait et sa justification devenait inaudible pour ceux qui n’auraient pas suivi précisément l’évolution des faits ; et que d’autre part, le combat de la censure par la censure me semble très douteux. Je ne crois pas à la censure au carré.
J’ajoute que la pétition contient des éléments politiques hors sujet qui la prive de sa portée fédératrice.
L’immense majorité des gens qui ne prendront pas le temps de s’intéresser aux détails de l’affaire aboutiront à la formule malheureuse : jazz = sectarisme + intolérance. Ce qui est à mon sens aussi regrettable que le manque d’ambition de l’émission. Il eût été plus judicieux de faire une série de réponses écrites ou filmées pour corriger les nombreuses approximations repérées au cours de la conférence. La dynamique aurait été perçue comme positive et constructive au-delà de l’indignation.
Outre la communication, deux erreurs me frappent. D’abord, le fait que la production ait choisi cette personne pour présenter une telle émission. L’histoire du jazz est un sujet vaste, ardu, traversé par des luttes sociales emblématiques, et Nalla n’était de toute évidence pas assez préparée ni légitime pour s’attaquer à un dossier aussi gros. Elle manquait de poids, d’expérience, et d’une certaine consistance. Ensuite, Nalla fait une erreur en acceptant la proposition qu’on lui fait. J’aurais personnellement refusé de présenter une telle émission, et j’aurais renvoyé les producteurs vers des spécialistes, ou j’aurais au minimum exigé qu’ils soient présents à mes côtés pour véhiculer des informations précises, quitte à garder l’aspect ludique. Est-ce l’âge ou la déformation générationnelle des réseaux sociaux, Nalla n’a pas senti qu’elle engageait sa responsabilité et que les connaisseurs la jugeraient elle tout autant qu’Arte sur son impréparation. On blâme toujours celui qui se trouve devant la caméra, pas derrière.
Le ton enfin m’a semblé assez insupportable. Jeunisme à tout crin (notamment dans la façon de s’exprimer) références parisiennes, comparaisons déplacées, vocabulaire, caricature politique droite/gauche. Encore une fois avec la culture, on confond popularité et facilité, vulgarisation et manque d’ambition. On pouvait réaliser une émission tout aussi divertissante en la préparant sérieusement et en véhiculant des informations de qualité. Ce qui n’a pas été le cas.
Contrairement aux signataires de la pétition (dont je ne fais pas partie), le fait que la vidéo soit étiquetée « service public » n’est pas une circonstance aggravante : j’ai depuis longtemps cessé d’attendre des informations honnêtes et sourcées des mass-medias.
Sur le fond maintenant : Est-ce que l’émission était divertissante et intéressante ? Les musiciens de jazz se sont ennuyés, mais il est bien possible que le public non spécialiste ait appris quelque chose et ait eu envie de creuser un peu la découverte de ce style. Est-ce qu’il y avait des erreurs ? Oui, et elles étaient nombreuses. Est-ce que l’émission était insultante ou irrespectueuse ? Pas à mes yeux. Si la conférence, que j’ai visionnée, brille par ses approximations, je n’y ai pas senti de malveillance. Incompétence n’est pas toujours mère de nuisance.
Mais ce qu’il y a de beaucoup plus grave dans cette affaire et qui me motive véritablement à écrire ces lignes, ce n’est pas la vidéo en elle-même, c’est la réaction de la production, et les risques que ce type de polémiques fait peser sur le débat public et sur la liberté d’expression. C’est l’affaire dans l’affaire, si j’ose dire.
Lorsque j’ai évoqué la possibilité de réagir dans l’onglet communauté de ma chaîne, j’ai reçu dans les heures qui ont suivi un mail du producteur de l’émission m’avertissant que des procédures étaient en cours et qu’une vidéo de ma part était probablement mal venue et potentiellement dangereuse, car elle risquait d’alimenter la campagne de haine et de harcèlement dont Nalla se disait victime. Je dois bien avouer que ce mail préventif, dans lequel je n’ai pu m’empêcher de deviner une menace très feutrée sur mon éventuelle responsabilité, m’a été très désagréable. D’autant plus qu’ayant été moi-même victime d’attaques violentes suite à la parution de mes propos sur Aya Nakamura, j’étais plutôt porté instinctivement à prendre la défense de Nalla.
Après avoir épluché les commentaires sur les différents sociaux et avoir échangé directement avec Nalla, je suis à ce jour incapable de reconstituer la campagne de haine et de harcèlement dont elle se dit victime. Des messages très critiques, très désagréables et parfois très peu courtois sont effectivement présents ici ou là, y compris parmi les tweets qu’elle a postés sur X et qui sont à ses yeux représentatifs du reste, mais en aucun n’ai-je trouvé de textes insultants ou véritablement orduriers, donc illégaux.
Dans un souci d’équité, j’ai demandé à Nalla et à sa production de me montrer les messages infamants, et par eux supprimés, mais puisqu’une procédure est en cours, on me dit que c’est impossible et que l’anonymat est de rigueur.
Ce qui m’amène aux conclusions suivantes.
Laurent Coq a sans doute eu tort de parler d’elle comme d’une « imbécile qui déblatère des conneries ». On peut lui reprocher son franc-parler. Mais une pétition, à laquelle une fois encore je ne souscris pas, n’est pas une campagne de haine ou de harcèlement.
Lorsque l’on est influenceur ou youtubeur, il est parfaitement ordinaire de recevoir des messages désagréables, parfois même des insultes. C’est malheureusement le lot de toute personne prenant publiquement la parole, je peux en témoigner.
Le problème en l’espèce, c’est que Nalla et sa communauté estiment que ce n’est pas la nature des messages qui comptent, mais l’impact qu’ils produisent, et donc leur ressenti. En d’autres termes, si un message sévère, voire cassant ou sarcastique déplaît, il suffit de le considérer comme attentatoire à son bien-être pour en disqualifier le contenu. On comprend le danger que ce mécanisme fait peser sur la liberté de critiquer.
Être victime d’attaques physiques ou verbales répétées, activement et clairement est grave et puni par la loi. Mais se servir ou exagérer une campagne diffamatoire pour éteindre le feu de la contestation est peut-être plus grave encore.
Cette façon de ne pas prendre ses responsabilités et de s’abriter derrière une ligne de défense invisible (puisque personne ne sera jamais en mesure de produire des éléments tangibles au nom de la procédure) est la porte ouverte à toutes les interdictions et menace réellement la liberté d’expression. Ce que j’ai beaucoup de mal à cautionner.
Avec ce type d’affaires, nous glissons dans la société tyrannique de la bienveillance et du conformisme. Un monde où chacun jugera une remarque ou un comportement non en fonction de sa pertinence, si détestables fussent-ils, mais en fonction de sa propre émotion et de son droit à s’indigner. À ce train-là, le débat d’idées sera tout simplement vidé de sa substance, et dans 10, 15 ans, ou plus tôt, on ne pourra plus rien dire sans être traités de boomers, de misogynes, de racistes, de fascistes. Puis condamné.
Pour finir, je vous enjoins à ne pas jeter de l’huile sur le feu et à rester d’une courtoisie exemplaire dans vos commentaires. Ne donnons pas inutilement de munitions aux défenseurs autoproclamés de la dignité.
J’invite instamment tous les influenceurs de la génération de Nalla, et les autres, à réfléchir au sens du mot responsabilité, en particulier lorsque l’on prend la parole publiquement.
Je vous renvoie vers les excellents articles de Philippe Baudoin, historien de la musique, dont je mettrai les liens en description, et qui a entrepris d’apporter un correctif posé et dépassionné aux nombreuses erreurs relevées dans la vidéo d’Arte. C’était sans doute ce qu’il y avait de mieux à faire.
Mise à jour du 4 juin
Laurent Coq a demandé un droit de réponse à la Lettre du musicien, après que le journal a offert une tribune à Nalla. Le journal et Arte lui ayant adressé une fin de non-recevoir, je publie le DDR dans un souci d’équité.
Faut-il dire « dièse 11 » ou « bémol 5 » ?
C’est une question que l’on me pose assez souvent : faut-il parler de onzième augmentée – #11 – ou de quinte diminuée – ♭5 ? Voici quelques éléments de réponses simples et concrets pour nous aider à y voir plus clair.
Enharmonies
Tout d’abord, rappelons que la quarte (4te) augmentée et la quinte (5te) diminuée sont des enharmonies, c’est-à-dire que ces deux notes produisent le même son, mais qu’elles ont à l’évidence des noms différents. Du point de vue de la fréquence, un fa# et un sol♭ sont synonymes et se confondent.
Au piano c’est évident, au violon et avec les instruments non frettés, c’est plus délicat, mais je ne rentre pas plus en détail dans la construction historique des systèmes utilisés. Sachons simplement que cette distinction est particulièrement pertinente avec des instruments ou des systèmes tempérés.
Si la 4te augmentée et la 5te diminuée produisent le même son, elles n’ont en revanche, lorsqu’elles sont mises en relation avec un accord, pas la même nature : la 11e augmentée est une note d’extension ; la 5te diminuée fait partie de la tétrade. Cette distinction est cruciale et nous permettra de mieux comprendre les choix harmoniques qui en découlent.
Tétrades et extensions
La tétrade est composée de quatre notes : la fondamentale ① ; la tierce ③ ; la quinte ⑤ ; et la septième ⑦. Lorsque l’on dit que la 5te est altérée, qu’elle soit dièse ou bémol, cela signifie qu’elle n’est pas juste. En C7 par exemple, la précision (b5) indique la présence de la note sol♭, qui vient remplacer le sol♮. Pas de coexistence, pour le dire autrement, entre 5te juste et altérée. C’est l’une ou l’autre.
Les notes d’extension, elles, viennent compléter les notes de la tétrade et sont pensées, dans leur construction initiale, au-dessus de la dernière note de la tétrade, d’où le qualificatif d’extension. Ces notes, ensuite, peuvent être ramenées au sein de la tétrade et côtoyer l’une des quatre notes structurelles ( ① ③ ⑤ ⑦ ), mais elles conservent leurs noms (9, #11, ♭13…).
Ainsi apparaît le premier élément qui va nous permettre d’établir une distinction logique entre ces deux éléments : la ♭5 suppose l’absence de 5te juste ; la #11 suppose la présence additionnelle de la 5te juste.
Association
On comprend, à la faveur de ces critères, que c’est la présence ou non de la 5te qui va conditionner l’une ou l’autre nomenclature, ce qui signifie conséquemment que c’est l’identité du mode ou de l’échelle associée qui va décider de l’appellation.
Si l’on considère l’accord X7(♭5), on peut établir deux grandes associations : l’échelle unitonique (la gamme par ton) et le mode locrien♭4 (gamme altérée). Ces deux gammes sont associées à un accord de dominante et contiennent une 5te altérée. Si c’est l’une de ces deux couleurs qui prédominent, on préférera ainsi parler de 5te diminuée, laissant clairement entendre que la 5te juste ne sera pas entendue.
Si l’on considère à présent l’accord X7(#11) ou sa version pandiatonique X13(#11), on fait alors plutôt référence au mode lydien♭7 (lydien dominante), laissant clairement entendre à la fois la 4te augmentée – le fa# –, mais aussi la 5te juste – le sol.
Il en va de même pour l’accord X13(♭9) que l’on associera volontiers à la gamme 1.2. (gamme ½ ton – ton), issue de l’échelle double diminuée où apparaît à la fois la 5te juste et la #11.
Notons enfin ici les limites de cette distinction puisqu’un système de huit sons (telle que la gamme 1.2) suppose l’apparition d’un degré itératif, c’est-à-dire deux notes portant le même nom, mais des qualificatifs et des sons différents, par exemple ici mi♭ et mi♮.
Coda
On le comprend, le choix de préciser ♭5 ou #11 est une façon de faire plutôt référence à un système ou à une échelle. Si les enharmonies restent possibles (à condition de rester cohérent avec la mélodie), la précision du chiffrage aura pour vertu de faciliter le travail de l’harmoniste et de guider l’improvisateur dans ses choix mélodiques.
ATTENTION : #IV (fa# en Do) fait référence au degré de la gamme ; #11 fait (toujours fa# en Do) fait référence à la note d’extension. Il s’agit de la même note, entendue éventuellement à la même hauteur, mais faisant référence à des systèmes différents.
Erratum
Une erreur s’est glissée à la page 31 du tome 2 (3e édition revue et augmentée).
Il s’agit du chapitre concernant le mode ionien. Au 2e paragraphe, la phrase finale « […] une couleur proche de l’accord de dominante sur dominante. » doit être remplacée par « […] dominante sur tonique. »
Nous présentons nos excuses aux lecteurs que l’on sait néanmoins compréhensifs et conscients des impondérables d’un travail éditorial de cet envergure.
Bonne lecture à tous. (Et bonne année 2024 !)
Hommage à Guy Marchand
La (vraie) vie en tournée
Jean-Claude Petit : la force d’un destin
Interview de Jean-Claude Petit, compositeur, pianiste de jazz et arrangeur des stars.
Retro gaming avec Marcus
J’ai eu le plaisir d’être invité par Marcus de la chaîne Game One pour participer à son émission Level One.
C’était assez drôle, car bien que n’étant pas un gamer invétéré, je regardais déjà cette émission de temps à autre sur le câble quand j’avais 19 ou 20 ans. Je trouvais le concept original, et par-dessus tout le présentateur archi-sympathique. Je me souviens avoir pensé « Ce type fera une belle carrière. Obligé ! ». Et voilà.
Nous avons donc fait une partie de Goldeneye endiablée (et hilare) qui nous a tous deux replongés dans un passé déjà assez lointain, tout en parlant de la chaîne YouTube et de mes analyses… des génériques de James Bond, pardi ! ^^
L’équipe est adorable et j’ai passé un excellent moment. Merci à eux et en particulier à Mathias Lavorel d’avoir été si attentionné.
L’émission sera diffusée le mardi 24 octobre à 22h et rediffusée le dimanche 29 à 23h50.