Publié le 2 commentaires

Introduction

Doigtés et positions

Contrairement aux partitions contenant la totalité des notes qui seront jouées une fois pour toutes, l’harmonisation des standards est par nature non fixée. Certes enviable, cette souplesse peut parfois laisser le jeune musicien de jazz désemparé, en particulier pour ce qui concerne les doigtés à employer. Comment décider de la meilleure façon d’exécuter un trait ou un accord… si celui-ci peut constamment changer ? Quel principe appliquer ? Là encore, la phase préparatoire va nous rendre de précieux services. À travers les nombreux exercices de transposition, nous aurons l’occasion de nous familiariser avec les principales positions et de développer des réflexes digitaux. Bien sûr, nous n’aurons pas réglé la totalité du problème, car il restera un travail d’adaptation à effectuer pour conclure l’étude, cependant nous aurons en quelque sorte préparé le terrain le plus possible et la main de l’élève trouvera vite des solutions logiques et naturelles.

Tous les doigtés qui sont proposés ici le sont à titre indicatif, même s’il s’agit de ceux que nous estimons les plus efficaces. Nous les préciserons pour chaque exercice, puis uniquement si cela s’avère nécessaire. Il faut donc, tant que l’on n’a pas rencontré une nouvelle indication, continuer d’appliquer le doigté précédemment donné.

Pour autant, le doigté parfait n’existe pas, et en réalité, seul importe le confort de l’instrumentiste qui doit toujours rechercher la solution la plus efficace lui posant le moins de contraintes physiques. À terme, l’aisance acquise doit permettre d’augmenter le tempo sans peine et sans dépense d’énergie inutile.

En jazz, il faut ajouter que certaines conduites de voix nous poussent à adopter des gestes et des doigtés souvent peu orthodoxes. Inévitables, ces entorses à la technique académique sont la résultante d’un langage dont la forme expressive est en constante mutation ; elles sont en ce sens tolérées et, au demeurant, attestées par les vidéos de maîtres dont nous disposons et qui montrent leurs mains en gros plan.

Notation de la tétrade

Nous préciserons l’ordre des notes qui composent chaque position nouvelle. Cet ordre sera indiqué par les chiffres cerclés ① ③ ⑤ ⑦ ⑨ ⑪ ⑬, correspondant aux notes de la tétrade et à ses notes d’extensions. Il est toujours exprimé du bas vers le haut. Nous utiliserons cette notation pour dissiper toute confusion avec les doigtés. Les altérations comprises dans le chiffrage d’accord ou « naturelles » ne sont pas reportées dans le cercle. Ainsi pour un Cm7, le chiffre ③ correspond bien à une 3ce mineure, sans qu’on ait besoin d’ajouter un bémol. De même, pour C7(♭9), le chiffre ⑨ correspond bien à un Ré♭, sans précision supplémentaire.

Voix ou parties

Pour désigner les notes constitutives d’un accord, nous ferons constamment référence aux voix (ou parties). Cette convention d’écriture, héritée de l’harmonie vocale, nous rappelle que chaque partie d’un accord peut être considérée selon sa tessiture, c’est-à-dire selon la possibilité de chanter plus ou moins haut, en fonction de son instrument vocal, dans une dimension horizontale et autonome. Il existe quatre voix distinctes : le soprane (ou soprano), voix la plus aiguë ; l’alto, 2e voix, ou voix se trouvant sous le soprane ; le ténor, 3e voix, se trouvant sous l’alto ; la basse, voix la plus grave.

Voix et parties

Lorsqu’on analyse des accords de 5 sons, on peut considérer que la voix supplémentaire correspond à un divisi, c’est-à-dire à une division de la partie concernée en deux sous-parties. Il peut y avoir plusieurs divisis dans un accord, et autant de sous-parties (accords de 6 sons et plus).

Tessiture et limites d’intervalles

En tant qu’expression ponctuelle et simultanée de plusieurs « voix », on peut considérer qu’une position spécifique atteint également des limites de tessitures, toutefois, cette restriction est essentiellement due aux limites d’intervalles. Les intervalles à prendre en compte sont ceux formés par la basse et le ténor. Il s’agit de l’intervalle de tierce, de quinte, de septième, de neuvième, de seconde, de quarte et de sixte.

Le tableau suivant recense les limites des intervalles formés par ces deux voix et principalement utilisés pour la construction des positions. Les intervalles mineurs ou diminués sont indiqués en noir ; les intervalles majeurs ou justes sont indiqués en clair ; les traits continus indiquent les limites supérieures et inférieures ; les traits en pointillé indiquent une absence de limite supérieure.

Si les limites que nous indiquons ici doivent permettre à l’élève de découvrir et travailler les positions dans un cadre pédagogique fécond, ce dernier doit garder à l’esprit que ces mêmes limites ne sont pas inamovibles. Une fois passée la phase d’apprentissage, et même si les grands principes de consonance liés à la hauteur des sons restent valables, on ne sera pas étonné de constater que certains harmonistes excèdent fréquemment les limites d’intervalles. Ces transgressions restent liées à un cadre artistique spécifique : tempo lent, parallélisme, création d’un climat musical particulier, recherche de « dissonance », etc. Pour le dire autrement, les repères ne sont pas absolument figés, et il ne faut pas hésiter à explorer régulièrement des sonorités au-delà des limites préconisées.

Ajoutons enfin que les pianos, notamment à queue, disposant d’une longueur satisfaisante de cordes (et bien accordés, cela va sans dire), offrent une plus grande tolérance inférieure aux intervalles, et que le toucher considéré comme la maîtrise digitale du volume des voix (un aspect de la technique pianistique trop souvent négligé) permet l’exacerbation ou l’atténuation sélective des éléments constitutifs d’un accord. En d’autres termes, une bonne technique autorise l’expression de certains intervalles au-delà des limites préconisées, à condition de pouvoir contrôler séparément la dynamique des deux voix inférieures (basse jouée f ou mf et ténor joué mp). Ces considérations, nonobstant, s’appliquent également et avant tout aux positions exprimées dans un registre conventionnel.

Hiérarchie sonore

Chaque accord doit être appréhendé dans sa dimension orchestrale : la mélodie, le soprane, doit clairement prédominer (nuances mf à f); les voix qui accompagnent cette mélodie ne doivent pas l’écraser (nuances mp à p) — exception faite de la basse qu’on laissera saillir naturellement de l’accord pour lui conférer un ancrage satisfaisant.

Cette considération sonore est indispensable si l’on veut acquérir un beau son. Exprimer les bonnes notes ne suffit pas, il faut respecter ce principe d’étagement « vocal » naturel. Le cas échéant, les positions seront brouillonnes, déséquilibrées et au final inélégantes. Passée la phase d’apprentissage de la tétrade, ce principe devra être rigoureusement appliqué dès l’étude des premiers enchaînements.

En cas de doute, on pourra passer par une étape transitoire où les accords seront joués en arpèges très rapprochés ou roulés, voire égrainés, ceci favorisant la prise de conscience du son désiré par la mise en exergue décalée de la ligne mélodique.

La figure ci-dessous propose trois manières de jouer un même enchaînement :

— en l’exprimant d’une façon unitaire et verticale (c’est-à-dire en mettant suffisamment de poids sur le 5e doigt pour faire ressortir le soprane) ;

— en roulant l’accord d’une manière assez serrée afin de faire « jaillir » le soprane ;

— en égrainant l’accord d’une façon plus espacée afin d’éprouver et de contrôler la nuance produite par chaque doigt.

Tonalités enharmoniques

L’enharmonie permet de considérer des sons identiques selon des noms différents. Au cours de notre travail, il sera nécessaire de faire régulièrement un travail de transposition enharmonique. Dans le jazz, il est en effet fréquent de jongler avec au moins deux paires tonales : Do dièse / Ré bémol ; Fa dièse / Sol bémol. On rencontrera d’autres enharmonies, mais celles-ci sont les plus fréquentes et doivent (indépendamment de l’analyse qui exclut le plus souvent une tonalité au profit d’une autre) être pensées et jouées séparément et alternativement.

L’exemple suivant reprend une cadence exprimée dans des tonalités enharmoniques.

Tonalités enharmoniques

Échelles de transpositions

Une des clés de l’apprentissage consiste à maîtriser les positions et les enchaînements dans tous les tons. Cette habitude a pour objet de parfaitement valider la connaissance d’un élément de langage nouveau et de se préparer à sa mise en œuvre dans n’importe quel contexte. Pour ce faire, chaque exercice explorera donc les douze tonalités (ainsi que deux paires enharmoniques) en suivant différents cycles :

— le cycle des quintes (justes, ascendantes ou descendantes) qui couvrent toutes les tonalités ;

Cycles des 5tes

— la gamme par ton (ou échelle unitonique) qui devra être transposée une fois pour couvrir toutes les tonalités ;

Échelles unitoniques

—  l’échelle diminuée qui devra être transposée deux fois pour couvrir toutes les tonalités.

Échelles diminuées

Ces cycles utiliseront l’écriture enharmonique ; ils ne seront jamais joués de bout en bout sans changement de sens, mais systématiquement adaptés à la hauteur de la position, c’est-à-dire en les passant à l’octave inférieure ou supérieure chaque fois que cela sera nécessaire pour respecter les limites d’intervalles.

Cycle de 5tes linéaires

L’agencement linéaire faisant entendre certaines positions au-delà des limites d’intervalle prédéfinies (figure 1), il doit être remanié et adapté au registre (figure 2).

Figure 1
Figure 2

Les endroits dans le cycle où il faudra effectuer ces passages à l’octave seront dépendants des intervalles utilisés : ils changeront donc en fonction de chaque position et reposeront comme toujours sur la bonne connaissance des limites de tessitures.

Métriques et rythme harmonique

Pour ne pas surcharger l’ouvrage et permettre à l’élève de clairement percevoir les temps forts et faible d’une cadence, nous présenterons chaque progression selon un rythme harmonique simple et une métrique le plus souvent binaire. Nous pensons que l’harmonie est une discipline complexe, et qu’elle nécessite, au début, de ne pas se télescoper avec un autre domaine d’étude.

Pour autant, il faut bien reconnaître que le jazz du 21e siècle est résolument complexe du point de vue rythmique. Le musicien chevronné ne peut plus se permettre d’ignorer les métriques impaires et se doit d’être aussi à l’aise en 5/4 ou 7/8 qu’en 4/4 ! À cet effet, nous proposons des variations de métriques sur des exercices déjà étudiés afin de permettre au lecteur de se familiariser avec ces signatures rythmiques de prime abord déconcertantes. Ce cadre familier permettra de développer de nouveaux réflexes de placement rythmique qui se révéleront utiles en situation de jeu.


N’hésitez pas à commenter ou à m’envoyer vos remarques. Vous pouvez aider à la maintenance du site en faisant l’acquisition d’une partition ou d’une vidéo.

2 réflexions au sujet de « Introduction »

  1. Merci pour cette introduction. J’attends la suite avec impatience.
    Une petite coquille s’est glissée dans la dernière phrase :
    « Ce cadre familier permettra développer » où il manque « de »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *