Après avoir exploré les causes, l’aspect psychologique, évoqué les stratégies de substitution et jeté les bases d’une philosophie du corps, il nous faut à présent parler concrètement des traitements existants.
Pour revenir une dernière fois sur les origines possibles, et prendre mon cas personnel, ma blessure la plus « profonde » est venue à la suite de l’écriture d’un roman. Étonnant, mais d’une logique assez implacable. Il faut savoir que j’ai toujours pratiqué mon instrument plusieurs heures par jour, et que la durée de mes vacances non musicale/instrumentale excède rarement une dizaine de jours. Au-delà, je conserve un minimum de contact avec le clavier. Or, à l’occasion de la rédaction du texte en question, j’ai fait ce que je n’avais jamais fait : j’ai cessé de travailler, et parfois de jouer, complètement, pendant de longues semaines. Ce qui devait arriver arriva : mes muscles ont insensiblement fondu et lorsque j’ai voulu reprendre une étude la bouche en cœur pour me changer les idées, crac ! Les fibres de mes avant-bras avachis par plusieurs mois de paresses digitales (non : taper au clavier d’ordinateur ne remplace pas le clavier du piano) se sont rappelées à mon bon souvenir de la plus détestable des façons. La tendinite pointait le bout de son nez. Jusque-là rien de grave, et une bonne semaine de repos aurait eu raison de ce qui n’était encore qu’une gêne. Mais un malheur n’arrive jamais seul, et l’apparition de cette tendinite a coïncidé avec un enregistrement en studio très important prévu pour les jours suivants. J’ai bien sûr tenté de limiter mon travail pianistique au strict minimum et appliqué les principes évoqués précédemment, mais la séance impliquait ma participation effective et active. Bref, au lieu de guérir mes maux, je les ai aggravés. Ce qui aurait dû durer une semaine a duré un an.
Passons sur le coup du sort et le mauvais alignement des planètes. La tendinite était là ; il fallait agir.
Dès le diagnostic posé, je crois avoir subi presque l’intégralité des examens possibles (examens cliniques, radiographie, IRM, échographie) et une batterie de traitements qui me donne aujourd’hui encore le tournis : suppression des aliments acides de mon assiette (tomates, poivrons, etc.) ; absorption d’hectolitres d’eau gazeuse ; anti-inflammatoire : étirements ; massage doux ; massage transverse profond ; ostéopathie ; naturopathie ; homéopathie ; acupuncture ; consultation d’une énergéticienne ; consultation d’une passeuse d’âme (si) ; rééducation à la Clinique du musicien ; électrothérapie ; cryothérapie ; pose d’aimants ; cataplasme d’argile ; huiles essentielles diverses ; compléments alimentaires et vitaminiques ; tekker thérapie ; tapping (rien à voir avec la guitare) ; crochet (rien à voir avec le tricot). Les deux grands traitements que je n’ai pas suivis (après avoir pris différents avis et écouté mon intuition) sont l’injection de plasma, et les ultra-sons, technique qui consiste littéralement à marteler le tendon avec des ondes pour le blesser et le contraindre à se reconstituer. (Ah, et je n’ai pas non plus essayé le massage californien.)
Quel est le bilan ? Déjà, je le répète, mais c’est capital : le repos immédiat et total m’aurait évité de longs mois de galère. Si c’était à refaire, j’annulerais ma séance. Tant pis.
Ensuite, parmi tous ces traitements, quel est celui qui m’a véritablement aidé ? c’est très difficile à dire, mais je pense avoir identifié ce qui a fonctionné et hâté ma guérison. Tout ce qui suit est donc évidemment très personnel. Dans la famille des traitements relativement inefficaces, je classe la correction de la posture, le froid, le chaud, le crochet, les manipulations ostéopathiques, l’extirpation d’âmes diverses — dont une coincée là et qui s’est carapatée par ma cheville (si) ; dans la famille des traitements qui ont aidé les symptômes (douleurs et gênes) sans soigner les causes, je mets les massages (avec différentes huiles), l’électrothérapie.
La rencontre avec les kinés de la clinique du musicien a été très intéressante, mais au-delà d’un décryptage de mon rapport au clavier, il a bien fallu constater que ma posture, plutôt académique et héritée de mes années de conservatoire, n’était pas de nature à générer des blessures. Faisant feu de tout bois, j’ai tout de même fait un travail de fond sur la ceinture scapulaire, sans me bercer d’illusions.
Et enfin, pour finir ce qui semble avoir le mieux marché.
Déjà, le repos : dès que j’ai pu baisser la voilure, les symptômes se sont atténués ; toutefois, j’avais compris que les lésions étaient bien là, et que le repos seul risquait de ne pas suffire à réparer les fibres en profondeur.
En ce qui concerne les traitements, j’ai utilisé avec beaucoup de succès les cataplasmes d’argile additionnés d’huile essentielle de gaulthérie. Les vertus de l’argile ne sont plus à démontrer et j’ai pu expérimenter une nette amélioration de mes gênes après chaque application. C’est un peu pénible à mettre et à préparer au quotidien (on fout de la terre un peu partout…), mais l’efficacité m’a semblé assez flagrante.
J’ai également pris du collagène marin pour aider à reconstituer les fibres tendineuses. Il s’agit d’un traitement de fond (plusieurs semaines), mais je pense avoir senti des bienfaits. Idem pour la curcumine additionnée de gingembre et de poivre noir qui reste l’anti-inflammatoire naturel le plus puissant que j’ai eu l’occasion de prendre.
Et enfin — ce qui suit risque de bousculer beaucoup d’idées reçues –, après plusieurs mois d’échec, j’ai abandonné la stratégie du tout repos, pour me remettre à la gym, voire à la musculation, y compris des avant-bras à travers des mouvements de suspension ! Pompes, traction, dips, j’y suis allé progressivement, mais franchement. J’ai pris cette décision après avoir lu un article expliquant que le gainage des fibres musculaires entourant la partie lésée était aussi important que la réparation desdites fibres. Et là, je dois bien dire que passée la période d’appréhension, j’ai ressenti une nette amélioration.
Voilà en gros comment je m’en suis sorti. Impossible de savoir si ma méthode et une telle pharmacopée feront le bonheur d’un autre, car chaque corps réagit probablement d’une manière différente en fonction de son histoire et de ses traumatismes. Mais si vous êtes dans une impasse, l’un des traitements évoqués (y compris le gainage, largement contre-intuitif) pourra peut-être vous apporter une aide supplémentaire dans votre démarche vers la guérison.
Par le plus grand des hasards, j’achève la rédaction de cet article au moment où sort l’interview de Jarrett par Rick Beato. Jarrett qui depuis son double AVC a mis un terme à sa carrière et ne reçoit quasiment aucun journaliste. Et j’ai été très surpris de voir que même avec une main gauche totalement inactive et des séquelles évidentes de motricité (voire de langage), Keith continue de jouer chez lui tous les jours un petit peu. Évidemment on est à des années-lumière du Tokyo concert, évidemment, évidemment. Mais l’essentiel n’est pas là : même diminué (pour ne pas dire handicapé), même après avoir renoncé à la scène et au studio, il continue de se coller à l’instrument. Pour lui. Sans pleurer après sa virtuosité envolée. Il pianote un peu chaque jour, comme il peut, comme la vie lui en laisse encore la maladroite possibilité, parce que c’est ce qu’il aime et qu’une mélodie égrenée avec cinq doigts a pour lui malgré tout force de divertissement, d’émotion, d’intérêt, autant d’éléments qui doivent nous pousser à relativiser nos tracas — qui dans l’immense majorité sont passagers et qui ne nécessiteront qu’un ajustement technique.
S’adapter pour survivre.
En espérant que toutes ces informations vous seront profitables, et que vos blessures ne gâcheront pas votre épanouissement artistique.