Une erreur s’est glissée à la page 31 du tome 2 (3e édition revue et augmentée).
Il s’agit du chapitre concernant le mode ionien. Au 2e paragraphe, la phrase finale « […] une couleur proche de l’accord de dominante sur dominante. » doit être remplacée par « […] dominante sur tonique. »
Nous présentons nos excuses aux lecteurs que l’on sait néanmoins compréhensifs et conscients des impondérables d’un travail éditorial de cet envergure.
Nous étions une bonne cinquantaine, réunis en contrebas, sur une petite plage de Carnac où affleurent des rochers, au détour d’un sentier réservé à la randonnée pédestre, jalonné de grandes cheminées de pierre qu’on appelle des fours à varech. Le vent, parfois fort, soufflant depuis le large, charriait des odeurs hivernales d’algues abandonnées sur la grève, agitait la végétation accrochée au sol, atténuait les sons, soulevait les cheveux, les manteaux, séchait très vite les joues humides de larmes que les yeux malmenés par le chagrin et les bourrasques salines évacuaient à intervalle régulier. La sente que nous avions empruntée était boueuse, escarpée, casse-gueule par endroits ; le chemin du douanier, qui offre ordinairement un raccourci, était alors impraticable, et tout le monde avait dû sacrifier à la balade coutumière de ma tante, itinéraire fétiche qui nous conduisait dans cette partie protégée du littoral. Tout le long de la procession, un soleil radieux nous accompagnait, doux, dispersant une chaleur économe, assez bas dans ce ciel de février traversé de quelques nuages s’effilochant comme de vieux linceuls. Vraiment, c’est la journée idéale, a dit quelqu’un, on ne pouvait pas rêver mieux !
Car Anne-Marie était une femme solaire.
La mer était assez retirée et des ostréiculteurs au volant de gros engins s’activaient au bord de l’eau à une centaine de mètres. Nous formions une mêlée plutôt décontractée, attendant la suite, guettant l’arrivée des retardataires qui déambulaient maladroitement au bras d’un proche, souvent plus jeune ou simplement plus alerte.
Sur le sable, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde, un grand dessin en forme de cœur a été tracé, ourlé de linéaments et d’arabesques très fines, telle une végétation de silice nourrie aux promesses du printemps. Puis, imitant les enfants, nous avons tous ramassé un petit coquillage afin de le disposer sur les contours, donnant aux sillons un beau relief nacré qui me faisait secrètement penser que les constructions spontanées les plus évidentes, les plus sincères, demeurent gorgées d’une beauté que l’art ne pourra jamais que trahir. On se déplaçait autour du symbole avec une prudence, une déférence presque religieuse ; on redoutait à chaque pas d’écraser une bordure.
Puis Philippe s’est mis au centre du cœur, et a prononcé des mots d’une voix forte, entrecoupée de sanglots, que son masque filtrait, mais que l’on comprenait tout de même, expliquant qu’Anne-Marie souhaitait d’une manière ou d’une autre rester attachée à Carnac, qu’elle avait laissé le soin à ceux qui lui survivrait d’organiser la suite comme bon leur semblait et qu’il avait donc été décidé de répandre ses cendres ici, dans un lieu qu’elle aimait.
Philippe a demandé aux enfants de l’accompagner, et tous ensemble, ils ont gravi un tertre qui les a placés en surplomb, de sorte que chacun, en levant un peu la tête, pouvait suivre la scène sans peine. Lorsque Philippe a sorti de son sac à dos un objet sombre, massif, oblong, et qu’il a commencé à en faire tourner le couvercle, le silence était devenu total. Prise de soubresauts, l’urne a d’abord délivré son contenu avec une sorte d’avarice insolente, puis le gros des cendres a finalement jailli, emporté par le vent, se mêlant peu à peu au sol en une cataracte de poussière fine, rejoignant la lande bretonne qu’elle ne quitterait plus. Après ça, Philippe et ses enfants se sont tous enlacés, à demi courbés, dans une mêlée qui évoquait une étreinte de rugby noble et robuste, un ultime conciliabule, pour dire adieu sans dire un mot, se répéter qu’on tient les uns aux autres, se garantir une aide indéfectible, se projeter à la force d’une embrassade vers l’avenir fade, amputé de l’être aimé.
Le soleil brillait toujours quand nous sommes repartis.
C’est cette cérémonie magnifique, poignante que j’ai voulu retranscrire en musique, en gardant à l’esprit la puissance et la sérénité des éléments, la communion naturelle et presque mystique qui nous unissait ce jour-là. J’ai appelé cette pièce les Cendres sur la lande.
La partition originale est en libre téléchargement ci-dessous.